My WORLD… Ch 2

Chapitre 2 My WORLD

Roman My WORLD de l'auteur Gilles Deschamps

Tom a 31 ans

Chapitre 2

Elle a vieilli d’une vingtaine d’années mais il n’a aucun doute :

– Stina !

– Pardon ! On se connaît ?

Alors que le doute commence à s’installer dans l’esprit de Tom et qu’il la regarde incrédule, la jeune fille revient à la charge :

– Comment connaissez-vous mon prénom ?

Maintenant il n’a plus de doute : c’est bien elle, et son sourire revient aussitôt sur son visage.

– Vous ne vous rappelez pas de moi ?

– Écoutez, je viens à Superdévoluy depuis dix ans et je ne me souviens pas vous avoir parlé ! Alors je vous repose ma question : comment connaissez-vous mon prénom ?

– Repensez à un autre endroit qu’ici.

– J’habite au Danemark, je ne viens qu’une semaine par an en France et je n’ai jamais mis les pieds ailleurs que dans ces montagnes, dit-elle d’un ton sec et sans appel.

– Vous n’êtes jamais allée dans le sud de la France il y a une vingtaine d’années ?

La jeune fille semble hésiter. Son visage fermé se détend soudainement. Ses yeux semblent vouloir percer le temps en dévisageant son compagnon d’infortune. Puis, timidement, elle reprend la parole :

– Ne me dites pas que vous êtes… Tom ? demande-t-elle toute hésitante.

– J’ai cru que jamais tu ne te rappellerais, dit-il en poussant un grand soupir de soulagement.

Et soudain, sans qu’il ne comprenne pourquoi, les yeux de la jeune femme s’illuminent, elle s’avance commence à toucher son visage comme pour s’assurer qu’elle ne rêve pas.

– Cette barbe, ces traits sur ton visage à la place de ton visage poupon… cette allure d’homme… comment voulais-tu que… 

Mais au lieu de continuer, poussée par la joie de retrouver une personne avec qui elle a passé des moments chers à son cœur, elle se jette au cou de Tom et le serre dans ses bras. Ce dernier, d’abord surpris par cet élan de spontanéité « j’avais oublié que les femmes du Nord sont beaucoup moins pudiques que celles d’ici », finit par en faire de même et entoure ses bras autour de son amie danoise.

Au bout de quelques secondes la jeune femme desserre son emprise et se recule légèrement tout en le tenant toujours dans ses bras :

– Mais tu as tellement changé !

– En mieux j’espère !

– Tu étais déjà un beau petit garçon, mais là je retrouve un homme… superbe, lâche-t-elle sans réfléchir un instant.

– Dans ce cas je préfère, ironise Tom.

– Mais co…

« Il y a quelqu’un à l’intérieur ? »

Une voix venue d’un haut-parleur dans la cabine vient de les interrompre.  

– Oui, répondent en cœur les deux occupants.

« Je répète : il y a quelqu’un dans l’ascenseur ? Ah oui, pour me répondre il faut appuyer sur le petit bouton vert en haut ».

Tom cherche du regard et aperçoit le petit point dont il est question, il enfonce le bouton et répète sa phrase :

– Oui nous sommes deux à l’intérieur.

« Ok ! Vous n’avez pas de problèmes particuliers ? »

– Non. Nous sommes jeunes et en pleine santé, ironise-t-il.

« Ça c’est plutôt une bonne nouvelle ! Bon je vous explique la situation : une pièce du moteur a lâché, la cabine s’est bloquée et nous attendons la pièce qui arrive de Gap. Le temps que le technicien la remplace, il y en a pour une heure environ. Je suis désolé mais il va falloir attendre. »

– Mais vous ne pouvez pas nous ouvrir une porte entre deux étage et nous extraire de là ?

« Comme vous le savez, la particularité des ascenseurs à Superdévoluy est qu’ils n’ont qu’une destination chacun, pour un étage bien précis afin de fluidifier la circulation des personnes les empruntant. Le seul souci c’est que dans votre cas vous avez pris celui du dixième étage et comme vous êtes coincés entre le deux et le trois, il y a environ vingt mètres entre le toit de votre cabine et la porte de sortie. De plus la cabine étant exiguë, la cage avec les câbles ne permet pas à quelqu’un de descendre. Il va vous falloir prendre votre mal en patience. »

– Est-ce que vous pourriez prévenir mon mari que j’aurai un peu de retard ! demande Stina en appuyant sur le bouton vert à son tour.

« Quel appartement ? »

– Le 1017 S  . Je m’appelle Stina.

« Et vous monsieur, vous habitez avec eux ? »

– Non. Et d’ailleurs si vous pouviez aussi aller au 1044 S prévenir ma compagne ! Je m’appelle Tom.

« Ok ! Nous y allons tout de suite, et encore désolé pour le désagrément. »

– C’est pas grave, on n’est pas morts donc tout va bien… on ne bouge pas, ironise-t-il avant de couper la communication.

« Si tout le monde pouvait être aussi conciliant que vous ce serait bien ! On fait au plus vite et on vous tient au courant dès qu’il y a du nouveau. »

La première pensée qui vient à l’esprit de Tom est sans appel : « Être coincé ici avec Stina est probablement une des plus agréables choses qu’il me soit arrivé de vivre ces dernières années. Surtout prenez votre temps, je ne suis pas pressé ! »

De son côté la jeune danoise semble plutôt heureuse de cette infortune et commence à se mettre à l’aise en desserrant ses chaussures, elle enlève son anorak qu’elle accroche à sa paire de ski qui lui fait office de porte manteau, défait la fermeture éclair de son pull laissant apparaître un joli début de décolleté et s’ébouriffe les cheveux pour leur redonner un peu de tenue après une après-midi sous le bonnet.

Tom qui n’a rien perdu du spectacle, l’imite à son tour et une fois qu’il s’est lui aussi ébouriffé les cheveux, se tourne vers sa voisine :

– C’est moins efficace que pour toi !

– Non, non ! Tu es très beau comme ça ! 

Tom ne sait pas comment il doit prendre cette phrase, « si ça se trouve en traduisant elle a peut-être voulu dire autre chose. Ne commence pas à te faire des films ! »

– Et si on commençait par le début puisqu’on a une heure à tuer ! Qu’est-ce que tu as fait de beau durant ces vingt dernières années ?

– Oh ! Pas grand-chose ! J’ai toujours rêvé d’être photographe, tu dois t’en rappeler !

– Oui ! C’est vrai ! Tu étais toujours caché avec un appareil à la main. Alors tu en as fait ton métier ?

– Tu as devant toi le reporter officiel de Poudreuse.

– Poudreuse ?

– Oui c’est le magazine pour lequel je travaille. En fait je parcours la France et l’Europe afin de réaliser des sujets sur la montagne et les plus beaux spots de hors-piste.

– Donc ici tu travailles en fait !

– Entre deux, je fais d’une pierre deux coups. Je suis venu passer une semaine de vacances tous frais payés pour faire un article sur le Vaisseau des neiges comme est surnommée la station avec son imposant bâtiment de forme incurvée de douze étages et plusieurs centaines de mètres de long. Mais toi, que fais-tu si loin de chez toi ?

– Tu sais, au Danemark on a beaucoup de neige, mais pas de montagnes comme ici !

– Oui ça je sais, mais pourquoi les Hautes Alpes alors que la Savoie offre tellement de belles stations pittoresques ?

– Parce que justement, c’est la seule où après le ski tu puisses te balader en tee-shirt pour faire tes courses ou aller boire un verre !

– C’est pas faux ! C’est vrai que c’est plutôt inhabituel d’aller acheter son pain le matin en pantoufles ! Tu es mariée, ça je le sais puisque tu l’as dit tout à l’heure, mais tu fais quoi dans la vie ?

– Je suis avocate internationale. 

– Ah ! je comprends mieux pourquoi tu parles si bien notre langue !

– Non ! Ça n’a rien à voir ! Ma mère est prof de français, et petite elle insistait pour que j’aie une élocution parfaite.

– Maintenant que tu me le dis, je me rappelle ; et ton père est québécois !

– Non, canadien.

– C’est pareil ?

– Pas si tu viens de Vancouver à l’autre bout du pays, ironise Stina.

– Autant pour moi. En tout cas pour revenir à ton job, ce doit être top !

– En fait, rien de bien folichon !

– Quand même ! Je suppose que ton métier te fait voyager !

– En effet je parcours le monde, mais parfois je préfèrerais être bien confortablement installé dans mon quotidien plutôt que de parcourir la planète en sautant d’un avion à un autre. Même si les hôtels dans lesquels je descends sont toujours somptueux, ils finissent par tous se ressembler ! C’est d’ailleurs pour ça que j’aime cette station… elle ne ressemble à aucune autre même si elle n’est pas la plus esthétique.

– Je saurai m’en rappeler au moment de faire mes photos.

– En parlant de photos, j’aimerais que tu me fasses rêver en me racontant tes expéditions à ski, moi qui ne bouge pas de mon bureau même s’il est aux quatre coins du monde !  

*

Tom se mit alors à lui conter ses sorties en ski de rando dans les conditions les plus extrêmes : de nuit, dans la tourmente, en hélico, sous des glaciers, en escalade, mais il essaya aussi de lui décrire avec le plus de réalisme possible les paysages immortalisés dans son boitier, que ce soit au niveau de la lumière, des détails ou même de l’odeur s’en dégageant. Stina était redevenue une petite fille qui écoute un conteur l’emmener là où elle n’avait pas la possibilité d’aller. Le technicien les interrompit quelques secondes par le biais de l’interphone afin de les tenir au courant de l’avancée de la réparation et Tom reprit la narration de ses reportages pour le plus grand plaisir de sa voisine.

Une heure et quart s’était écoulée et l’attente ne semblait pas déranger le moins du monde les deux captifs. Tom regardait discrètement sa montre « Pourvu qu’ils aient des problèmes et que la réparation dure un peu plus longtemps, car c’est trop bon d’être là avec elle ! Et je ne sais pas si j’aurai la chance de partager à nouveau un tête à tête avec elle ? » Mais soudain le haut-parleur crépita.

*

« Vous êtes toujours là ? »

– C’est une blague ! répond instinctivement Tom en appuyant sur le bouton vert.

« Oui je sais, elle est de mauvais goût ! »

– Non, non ! Elle est plutôt drôle !

« Bon, à ce que je vois vous avez toujours le moral ! Donc je peux vous annoncer la nouvelle. »

– C’est réparé ? reprend Stina.

« Non, justement ! reprend le technicien. En changeant la pièce on s’est rendu compte qu’un axe majeur caché avait cédé lui aussi. Par contre la pièce ne nous sera livrée que tard dans la nuit, alors il va falloir s’organiser d’ici là. »

– S’organiser !

« Oui, on va vous faire passer de quoi vous restaurer et vous agrémenter au mieux la vie dans ces deux mètres carrés. »

– Mais je croyais qu’on ne pouvait pas envoyer de secours ?

« Des secours non, mais un panier : oui. Donc vous allez prendre un de vos skis et pousser sur la petite trappe qui se trouve au-dessus de vos têtes, et nous d’en haut on va vous descendre à l’aide d’une corde, de quoi manger. »

– Par contre il nous faudrait quelques bricoles avant si ça ne vous dérange pas !

« Allez-y ! Vous pouvez me demander ce que vous voulez… à part vous sortir de là-dedans. »

– Est-ce que vous pourriez nous récupérer une bâche qui fasse la surface de la cabine, cinq ou six couvertures, et aller voir nos conjoints respectifs pour récupérer des paires de chaussettes sèches et nos pantoufles ou quelque chose qui y ressemble ? demande Tom avec l’approbation de Stina.

« Pas de soucis. Je vous apporte tout cela au plus vite. »

À peine une dizaine de minutes plus tard, le technicien fait à nouveau crépiter le haut-parleur :

« Voilà ! C’est bon ! J’ai tout ce que vous voulez. On va commencer la descente à l’aide d’un sac que je vais laisser glisser jusqu’à vous avec la corde et de votre côté vous le guiderez dans la trappe à l’aide d’un de vos skis. »

– On est prêts, lâchent en cœur les deux occupants coincés.

Il faut quelques tentatives au premier sac pour trouver la porte d’entrée sur le toit de l’ascenseur. Une fois le coup de main pris, le reste du ravitaillement s’effectue sans soucis.

« C’est bon ! Je pense que vous avez tout ! On repasse vers dix-neuf heures trente vous apporter le repas. Mais avant de raccrocher, il y a des personnes qui voudraient vous dire quelques mots. »

« Chéri ! C’est moi ! Pas trop stressé là-bas dedans ? » demande la petite amie de Tom.

– Coucou ma puce ! Non, tout va bien ici ! On est comme des coqs en pâte ! répond enthousiaste le jeune captif afin de réconforter son amie.

« Coqs en cage serait plus approprié ! Si tu as besoin de quoi que ce soit, demande-leur et je te le trouverai. Je retourne au studio en attendant des nouvelles. Passe une bonne soirée… toi qui aime les situations incroyables, tu dois être servi ? »

– T’as raison ! Mais je te le répète : ne t’inquiète pas, ici tout va bien et il ne peut rien nous arriver. Bonne soirée à toi aussi… enfin essaye.

Ensuite c’est au tour du mari de Stina de lui dire quelques mots dans une langue totalement hors de contrôle pour les oreilles de Tom et la communication se coupe, les laissant à nouveau seuls dans leurs deux mètres carrés.

– Mais au fait : qu’est-ce que tu veux faire avec cette bâche ? demande la jeune danoise.

– Le sol est mouillé à cause de tous les skieurs qui l’ont emprunté avec leurs chaussures pleines de neige, alors on va l’étaler, mettre les couvertures dessus, et comme ça on va enfin pouvoir s’asseoir, car je ne sais pas toi, mais j’ai les jambes en compote moi !

Stina approuve en remuant la tête de haut en bas et commence à aider Tom pour la confection de leur petit nid douillet éphémère. Une fois le morceau de plastique étalé sur la surface, ils calfeutrent le bas de la porte d’entrée avec une couverture afin de diminuer les courant d’air,  décident de condamner les quarante premiers centimètres qui leur serviront de rangement pour les skis, les chaussures, les sacs et les bâtons, et disposent deux couvertures sur le sol de manière à confectionner une moquette moelleuse sur laquelle ils vont enfin pouvoir se poser. 

Tom aide Stina à enlever ses chaussures, elle en fait de même, et quelques minutes plus tard ils sont bien confortablement assis sur le sol, chacun face à l’autre le dos appuyé à la paroi de la cabine.

– Ça aurait pu être pire ! lâche Tom.

– Ah parce que tu trouves que ce n’est pas glauque comme situation ?

– Tu aurais pu être coincée dans une télécabine avec une personne répugnante un jour de mauvais temps et être congelée parce que les secours ne pouvaient pas arriver jusqu’à vous !

– Vu sous cet angle, c’est vrai que j’ai de la chance d’être coincée bien au chaud… et surtout avec toi, ajoute-t-elle en le fixant intensément. 

« Il va falloir qu’elle arrête de me regarder de la sorte, car je sens mes vielles blessures d’adolescent se réveiller ! »

– Bon ! Puisque nous savons maintenant que nous avons quelques heures devant nous, j’aimerais que tu me parles un peu de toi ! Tout à l’heure tu m’as bombardé de questions à propos de mes reportages photos dans la neige, mais tu ne m’as quasiment rien dit de toi ?

– Je vis à Copenhague.

– La capitale ! Normal pour une avocate internationale.

– Je suis mariée à Jorgen depuis huit ans. D’ailleurs comment s’appelle ta femme ?

– Nous ne sommes pas mariés… enfin c’est tout comme puisque je vis avec Marie depuis six ans.

– J’aime beaucoup ce prénom !

– Ne change pas de sujet ! On parlait de toi.

– Je fais un boulot que j’adore, mais je ne peux te parler ni de mes clients, ni de mon patron… clause de confidentialité. Alors je me contenterai de te dire que je facilite la vie à de grosses sociétés et même certains pays dans le monde. Satisfait ? dit-elle en lui faisant un petit clin d’œil.

– Ok ! Du coup, parle-moi un peu de ton pays ! C’est un des rares dans lequel je ne sois pas allé photographier les grandes étendues blanches.

– Si tu voyais les lumières du matin glisser sur les forêts recouvertes de neige poudreuse à perte de vue… tu craquerais.

– Aucun doute là-dessus ! 

« Et surtout si tu étais avec moi ! »ne peut-il s’empêcher de penser. 

– Ensuite il y a …

Mais Tom n’entend plus. Son cerveau est en ébullition. Il se dit qu’il a une seconde chance avec cette fille l’ayant accompagné dans bon nombre de rêves merveilleux et dont il ne pensait jamais recroiser la route. « Je sais… il y a Marie ! Mais d’un côté je ne fais rien de mal ! Je veux juste profiter de ces quelques heures avec elle, avant que nous soyons peut-être séparés à jamais, pour lui dire ce que j’ai éprouvé ado. Ce sera comme crever un abcès. » Alors, ne prenant même pas le soin de laisser à Stina le temps de finir sa phrase, il se lance :

– Stina, puisque je ne sais pas si j’aurai l’occasion d’être à nouveau coincé avec toi dans un ascenseur, je voulais te dire…

… mais le haut-parleur 

se met à crépiter à nouveau.

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