OUI… Ch 4

Chapitre 4 Roman OUI

Roman OUI de l'auteur Gilles DESCHAMPS

CHAPITRE  4

Les mois d’hiver passèrent comme une lettre à la poste. Tom s’était pris d’affection pour cette jeune fille, et le seul fait de savoir qu’il allait passer une heure avec elle chaque semaine, donnait un sens à sa vie. Cette rencontre hebdomadaire avait même fini par lui faire admettre son divorce et le tirait à présent vers l’avenir. Quant à Tatiana, elle s’évadait de son triste sort pendant les soixante minutes de discussion avec cet homme qui avait quasiment l’âge de son père.

Au fur et à mesure que le temps passait, elle ouvrait les vannes de son cœur et osait lâcher des choses qu’elle pensait à jamais enfouies au plus profond de son être. Tom parlait tout le temps de Caroline et Mathieu, des merveilleux moments qu’ils avaient vécus, des crises qu’ils avaient traversées et de cette irrémédiable et désastreuse séparation d’avec les deux personnes qu’il aimait le plus sur cette terre. Un jour il osa demander à Tatiana combien de temps elle allait devoir faire ce métier pour cette ordure. Elle lui expliqua qu’elle lui devait quinze ans et qu’après elle serait libre. Comme cela faisait déjà huit ans, il lui en restait encore sept. Tom fut effaré de tant de résignation. 

Quand les beaux jours arrivèrent elle osa lui avouer que son rêve secret était de dessiner ou de peindre. Elle rêvait d’habiter une petite maison au bord de l’océan et de passer ses journées à créer des tableaux qu’elle avait élaborés tout au long de ses journées interminables au bord de la nationale. En fait c’était ce qui la sauvait de la dépression : dès qu’elle avait cinq minutes, elle imaginait un tableau et elle le peignait virtuellement pendant des heures. 

Tom n’en pouvait plus : il fallait qu’il aide cette fille d’une manière ou d’une autre… et une idée commença à germer dans sa tête. Après avoir passé des nuits à élaborer ce stratagème, il partit à son rendez-vous du jeudi avec la ferme intention de le lui exposer, mais voilà : pour la première fois depuis des mois… pas de Tatiana. 

*

Le lendemain matin il hésite, mais n’y tenant plus, il repart en direction du petit parking. Tatiana n’est toujours pas là, alors il s’arrête et interpelle une de ses collègues, qui s’approche la démarche chaloupée et très suggestive : 

— Alors mon mignon ! C’est trente pour la pipe et… Mais c’est le cérébral de Tatiana ! lui lance-t-elle avec ironie.

Mais Tom ne sourit pas du tout et demande sèchement :

— Où est-elle ?

— Et tu crois que c’est en me montrant les dents que je vais te répondre !

— Pardon madame, je m’excuse, mais je m’inquiète.

— J’en sais foutre rien d’où elle est ta petite pute, et elle s’en va le laissant dans le désarroi le plus profond.

Perdu pour perdu Tom tente sa dernière chance, se disant qu’il pourra la faire changer d’avis si elle sait quelque chose et il lui crie :

— Vous êtes sûre que vous ne savez pas où est Kashka !

La prostituée se retourne, ouvre de grands yeux :

— Qui ?

— Laissez tomber… et il enclenche la première, quand une jeune métisse tape à sa vitre le faisant sursauter.

Tom descend le carreau et la fille lui dit tout doucement afin de ne pas être entendue par le reste de la troupe :

— Je ne sais pas où elle est, mais des bruits courent qu’elle s’est faite tabasser.

— Par qui ? Pourquoi ? s’inquiète Tom.

— Je n’en sais rien, mais c’est ce qui se dit ici.

— Vous êtes sûre de ne pas avoir plus d’infos, ou vous ne voulez pas me les dire ?

— Aucune des filles que vous voyez ici n’appartient au même mac, justement pour qu’il n’y ait pas de fuite.

— Merci quand même… je repasserai puisque je n’ai pas d’autre alternative. Bonne journée, dit-il en repartant la tête basse comme un animal blessé.

*

La journée suivante : pas de Tatiana. Le surlendemain : personne. Le troisième : toujours rien. Tom commence à se dire qu’il risque de ne plus jamais la revoir, qu’elle est peut-être sur le trottoir d’une autre ville, ou dans un vieil entrepôt sordide où les hommes viennent se soulager, et cette idée lui donne la nausée. « Pourquoi ai-je tant attendu pour lui venir en aide. Si je lui en avais parlé la semaine dernière elle serait en sécurité aujourd’hui. Je suis un égoïste. Je n’ai pensé qu’à moi en allant la voir : trop content de pouvoir vider mon sac et d’apaiser ma douleur », n’arrêtait-il pas de se répéter. Et puis le quatrième jour une lueur d’espoir arriva.

*

Apercevant la même Mercedes pas très discrète ralentir à la hauteur du parking, la jeune métisse interpelle Tom de la main, lui faisant signe de venir. Une fois à sa hauteur, elle s’approche comme le ferait n’importe quelle prostituée, s’accoude à la fenêtre de la luxueuse allemande, et une fois à l’abri des oreilles indiscrètes, lui dit :

— Il paraît qu’elle revient cette aprèm. Mais je dois vous prévenir : elle a reçu sévère. Et elle s’en va en marmonnant comme si le client avait refusé son prix.

*

Tom trépigne devant son bureau, il n’a pas mangé, regarde sa montre toutes les deux secondes et à quinze heures n’y tenant plus, prend sa veste, ses clés et prétexte une course à faire. Comme chaque fois, son cœur bat plus fort à la seule vue du petit parking au bout de la grande ligne droite. « Dans quel état je vais la retrouver ? » Et puis arrivé à une centaine de mètres il aperçoit sa chevelure blonde : elle est là. À cet instant une vague de chaleur inonde son corps comme un tsunami de bonheur. Mais reconnaissant la berline, Tatiana se retourne et part se cacher dans les fourrés. Tom éteint le moteur, ferme la voiture à clé et part en direction des arbres. Au bout de quelques secondes il l’aperçoit. Elle est à cinq mètres de lui, de dos.

— Tatiana ! J’ai tellement eu peur de ne plus te revoir !

— Va-t’en ! S’il te plait, repars ! le supplie-t-elle toujours de dos.

Mais Tom n’entend rien, s’approche, pose doucement ses deux mains sur ses épaules et avec une infinie délicatesse, la retourne afin de lui faire face. Elle se laisse faire, elle a la tête basse et de grosses lunettes de soleil. Tom les lui retire avec bienveillance, lui relève le menton du bout des doigts, l’obligeant à le regarder et se retenant le plus possible de ne pas être outragé par ce si beau visage ravagé par les tuméfactions, lui pose la question qui lui brule les lèvres :

— Que t’est-il arrivé ?

Mais en guise de réponse, elle éclate en sanglots et se jette dans ses bras, le serrant de toutes ses forces. Depuis des mois qu’ils se connaissent c’est leur premier contact physique et Tom est bouleversé. 

Au bout de quelques instants les spasmes se calment, les sanglots s’assèchent et elle commence à lui raconter :

— La semaine dernière Manolo est rentré passablement éméché et très en colère à cause d’un problème de livraison de drogue. Malheureusement ce jour-là, je n’avais rien ramené de la journée et il m’accusa d’avoir pris l’argent pour moi. Je n’ai même pas eu le temps de m’expliquer qu’il me flanqua la deuxième raclée de ma vie. C’est la technique des macs : filer la frousse aux filles pour ne pas qu’elles aient des idées de liberté ou l’envie de piquer dans la caisse. Ce soir-là j’ai servi d’exemple. Sur le coup j’ai cru qu’il allait me tuer… j’ai eu la peur de ma vie. Et elle se blottit à nouveau dans les bras de Tom comme elle l’aurait fait avec son père s’il avait été là. Mais en la serrant à son tour pour lui communiquer son affection, Tom touche l’avant-bras de la jeune fille qui émet un cri de douleur.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Rien, c’est bon !

Mais une fois de plus, n’écoutant pas la réponse, il soulève le vieux sweat et découvre une plaie salement infectée.

— C’est quoi ça ?

— La ceinture de Manolo.

— Mais tu ne peux pas rester comme ça ! Je t’emmène à l’hôpital.    

— Non, il ne veut pas. Si l’une de nous met les pieds dans une administration il lui infligera la correction de sa vie !

— Alors je t’emmène chez mon copain toubib. Lui ne posera pas de questions.

— Je ne peux pas m’absenter longtemps.

— Vingt minutes pour y aller, dix minutes chez lui et vingt pour revenir. On a même du rab.

— D’accord, dit-elle simplement d’une petite voix tout en remettant ses lunettes.

*

Alors que la voiture roulait en direction du cabinet du docteur, l’esprit de Tom était en ébullition : il n’avait plus qu’une dizaine de minutes pour mettre son plan en place. Il avait longtemps hésité avant de proposer à Tatiana de l’aider, se souvenant de la promesse qu’il lui avait faite lors de leur deuxième rendez-vous, mais là cette saloperie de Manolo était allé trop loin et rendait caduque le contrat moral qu’il avait passé avec son amie. Pour la première fois depuis des mois il ne disait rien et Tatiana pensa qu’il était fâché contre elle, rajoutant encore un peu plus de douleur à son pauvre cœur déjà sévèrement abimé.

Une fois devant chez son ami médecin, Tom passa un coup de fil et ce dernier les fit entrer par la porte de derrière. En voyant les plaies de Tatiana, le médecin ne pût s’empêcher de lui dire que celui qui avait fait ça était une bête, mais il s’abstint de lui poser une seule question comme le lui avait demandé Tom. Elle se laissa soigner, mais lui demanda de ne pas lui mettre de pansement, car Manolo verrait bien qu’elle était allé voir quelqu’un. Il lui conseilla donc d’aller acheter le soir même du sparadrap et une bande en le disant à ce fameux sale type et lui montra comment faire le bandage. En partant, le docteur lui donna deux cachets antiseptiques afin d’empêcher la prolifération des bactéries, en attendant les soins du soir. Tom le remercia dix fois et ils repartirent… à peine une dizaine de minutes s’étaient écoulées, ils étaient dans les temps. 

Dans la voiture, le sourire commençait à revenir sur le visage de Tatiana. En présence de Tom tout semblait facile, et doucement elle sombra dans un lourd sommeil, car ce qu’elle ne savait pas, c’est que le médecin lui avait donné un puissant somnifère, à la demande expresse de Tom…

… qui mettait son plan à exécution.

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