OUI… Ch 3

Chapitre 3 Roman OUI

Roman OUI de l'auteur Gilles DESCHAMPS

CHAPITRE  3

La jeune travailleuse du bord de la nationale s’avance, Tom descend sa vitre, elle s’accoude à la fenêtre de la voiture et commence :

— C’est trente pour la pe… Mais c’est mon jeune divorcé !

Tom sourit :

— Allez ! Montez ! Le tarif est toujours le même ?

Et tandis que la jeune fille prend place à côté de lui, il lui tend les trois billets de cinquante. Mais aussitôt elle lui en rend un.

— La dernière fois j’ai été gourmande, lui dit-elle avec un petit sourire. C’est quand même la première fois que j’ai un client aussi gentil et si cool avec moi.

— Merci, se contente-t-il de lui répondre tout en démarrant.

— Bon je pense que cette fois vous vous êtes dit que c’était trop con de ne pas profiter de cette belle marchandise ? lui dit-elle en se remontant la poitrine à pleines mains.

— Désolé mais non, et arrêtez de vous rabaisser… vous n’êtes pas une vulgaire marchandise. 

— Je m’y ferai jamais à vos trucs à vous ! Bon alors ; je vous écoute !

— Non j’aimerais que ce soit vous qui me parliez aujourd’hui !

— Moi !

— Oui ! L’autre jour en partant vous m’avez dit que vous me diriez votre nom la prochaine fois… on y est.

— Tatiana, je m’appelle Tatiana.

— Voilà on avance, Moi c’est Tom au cas où j’aurais oublié de vous le dire.

— Ça vous va bien Tom. 

— Depuis quinze jours je passe devant vous et je n’ai pas pu m’empêcher de vous inventer des vies, plus rocambolesques les unes que les autres. En fait j’aimerais savoir quelle est votre histoire ?

— Moi je fais pas ça ! Une petite gâterie, un rapport vite fait à l’arrière si vous voulez… mais ça : non. 

— Vous êtes payée pour satisfaire le client à ce que je sache ? Alors moi tout ce que je veux c’est vous connaître, lui dit-il fendu d’un large sourire.

Se tournant vers sa fenêtre, la professionnelle semble hésiter, se retourne vers lui et :

— Vous savez il n’y a rien d’exceptionnel. J’aime le sexe, comme d’autres aiment le danger, le saut dans le vide. J’aime l’adrénaline de m’offrir à un homme souvent plus vieux et bien plus fort que moi. Et puis c’est une manière facile et plutôt sympa de gagner sa vie !

— Si on veut !

— Non, moi ça me convient.

Tom n’est pas dupe. Il sait qu’elle vient de lui lancer un bobard grand comme la porte d’Aix, mais il décide de faire comme s’il avait mordu à l’hameçon et relance la conversation sur un autre sujet.

*

Pendant les cinquante minutes qui suivirent, tous les deux se mirent à discuter comme de vieux amis. Tom lui racontait des morceaux de sa vie et Tatiana lui parlait de ses clients les plus bizarres. Le ton était plutôt bon enfant et la jeune fille semblait vraiment détendue. Il ne restait que deux kilomètres avant de retourner au parking glauque et quelque chose turlupinait Tom. Il se disait qu’il aimerait la revoir mais pour ça il faudrait qu’elle fasse un petit effort et qu’elle lui raconte la vraie histoire, alors il met le clignotant au grand étonnement de la jeune fille qui se dit qu’il a changé d’avis voyant qu’il reste dix minutes et elle se penche sur le service trois pièces du conducteur, qui éclate de rire.

*

— Décidément c’est une manie chez vous !

— Oh ! Pardon ! J’avais cru, répond-elle l’air penaud.

À présent le véhicule d’emprunt est bien garé, Tom se retourne vers elle et, tout en la fixant droit dans les yeux, lui repose la même question que cinquante minutes plus tôt :

— Je voudrais connaître votre vraie histoire.

— Mais je vous l’ai dit, bafouille-t-elle en le fixant.

— Non, je ne crois pas un mot de tout ça.

Tous les deux sont face à face comme dans un duel de western. Aucun des deux ne veut baisser les yeux. Voyant que la jeune fille résiste, Tom abat sa dernière carte.

— Si vous voulez que je revienne la semaine prochaine il me faut vous faire confiance. Je vous ai raconté ma vie et j’aimerais en retour que vous ne me preniez pas pour un idiot. Un minimum de considération, c’est tout ce que je vous demande.

Alors la jeune fille détourne le regard, fixe la ligne d’horizon et se met à parler tel une automate :

— Je suis née en Inde de parents Norvégiens. Mon vrai nom c’est Kashka. Quand j’avais treize ans ils ont eu un accident de voiture dans lequel ils ont perdu la vie. Comme j’étais une enfant rebelle, j’en ai profité pour m’enfuir. Dans l’imbroglio général, la police a classé l’affaire très vite et personne n’est venu me chercher. Au début je trouvais ça cool : je chapardais deux trois trucs pour manger ou on m’en donnait parfois comme j’avais un joli petit minois… la vie était simple.

Un jour j’ai rencontré Boris qui arrivait d’Ukraine pour vivre l’aventure de l’Inde. Les premiers mois on a vécu une belle histoire d’amour, très vite il m’encouragea à chaparder des trucs sur les stands des marchés juste pour le fun et il a fini par m’apprendre à voler pour de bon car il nous fallait de l’argent. Je n’aimais pas ça, mais je l’aimais lui. Au bout de quelque temps il a commencé à faire des parties à trois, puis à quatre, avec des filles, mais aussi avec d’autres hommes ; il se régalait de les voir me faire l’amour, et moi je ne disais rien croyant que je lui faisais plaisir.

Au bout d’un an il m’a demandé un service : un de ses amis était prêt à lui donner une grosse somme si je passais la nuit avec lui. Comme cela nous permettait de passer un mois tranquille j’ai accepté. Mais le mois suivant il y en avait deux, puis trois, puis quatre, puis des personnes beaucoup plus âgées que moi et là je ne voulais plus. Il m’a dit qu’il comprenait et qu’on avait assez d’argent pour réaliser un de nos rêves : partir en France. Il nous a acheté des billets pour le paradis, enfin c’est ce que je croyais, et au dernier moment il n’a pas pu partir prétextant deux trois affaires à régler. Il m’assura qu’il me rejoindrait le week-end suivant et que je n’avais aucun souci à me faire, car son cousin me récupèrerait à l’aéroport de Marseille. 

Elle marqua une pose comme si les mots restaient coincés dans sa gorge. Tom regrettait un peu d’être à l’origine de cet embarras dans lequel Tatiana se trouvait.

— On arrête là vous me raconterez la suite, si vous le désirez, la semaine prochaine. Et sans lui laisser le temps de répondre, il redémarre.

Une fois sur le fameux parking, Tom se tourne à nouveau vers la jeune fille :

— Comment dois-je vous appeler Tatiana, Kashka ?

— J’aimerais autant qu’on reste sur Tatiana, personne ne connaît mon vrai prénom.

— On se revoit jeudi prochain… à la même heure ?

— Ok, dit-elle en respirant un grand coup afin de se redonner un peu de contenance vis-à-vis de ses collègues de travail et elle sort.

Dès qu’elle a fait quelques pas Tom l’interpelle :

— Tatiana !

— Oui, répond-elle machinalement en se retournant.

— Merci. Et il démarre..

*

Une fois l’épisode de la fille passé, Tom retomba dans ses vieux travers une fois de plus et la fin de semaine fut une horreur. Le week-end ne fut pas mieux car il resta confiné chez lui englué dans ses souvenirs. Chaque objet, chaque détail insignifiant de la vie courante, chaque pièce de la maison lui rappelait la femme qu’il avait aimée et avec qui il ne partagerait plus jamais rien, à part peut-être le jour de Noël pour faire plaisir à Mathieu. La plupart des gens, dans un cas pareil, pouvaient compter sur leurs amis pour les soutenir. Mais les siens, ceux du début de leur histoire, s’étaient étiolés comme une pelote de laine sur laquelle on aurait tiré beaucoup trop longtemps et qui finirait par n’être qu’un vulgaire bout de fil abandonné à son triste sort. 

Curieusement, il se leva le lundi avec une certaine forme d’allégresse. Il savait que cette subite sensation de bien-être, contrastant avec la noirceur  des trois derniers jours, n’était due qu’au fait qu’il allait revoir Tatiana dans quatre jours… Plus les jours le ramenant vers le parking glauque s’égrenaient et plus son humeur remontait au beau fixe… Même au bureau, sa secrétaire lui en fit la remarque. Mais pourquoi cette fille lui donnait-elle autant de baume au cœur ? Elle pourrait être sa fille, il sortait d’une histoire qui l’avait brisé et, au fond de lui, il aimait toujours sa femme. C’était comme s’il y avait une connexion céleste quand il était avec elle : le temps se suspendait et sa vie était tout à coup bien plus légère. Il continuait à passer devant elle quotidiennement, un peu comme s’il regardait la vitrine du pâtissier en se disant que dimanche il y rentrerait et achèterait son gâteau préféré. 

Quand le jeudi arriva, même Tatiana se surprit à être fébrile. Et quand elle vit Tom s’arrêter elle s’enfourna dans la voiture sans qu’il n’ait pu dire un mot. Cette heure était en train de devenir sa bouffée d’oxygène. Quand le véhicule démarra, la conversation à l’intérieur s’enclencha automatiquement. Lui ne voulait pas remettre la pesante conversation de la dernière fois sur le tapis, mais elle, savait qu’elle en avait besoin. Alors sans plus attendre elle se jeta à l’eau.

*

— Il faut que vous me promettiez quelque chose.

— Tout ce que vous voulez, acquiesce Tom.

— Ce que je vais vous dire : vous ne devez en parler à personne, ni essayer de faire quoi que soit. Promis ?

— Juré, craché, sourit-il. Même si je ne sais absolument pas de quoi vous voulez me parler.

— Je vais vous raconter ce que j’ai vécu à mon arrivée à Marseille.

— Ah ! Ok ! Mais vous n’êtes pas obligée, si ça doit remuer trop de mauvais souvenirs !

— J’ai eu le temps d’y réfléchir en faisant les cent pas au bord de la nationale cette semaine et vous méritez de savoir… et moi je pense que ça me fera du bien.

— Je suis tout ouïe !  

— Quoi ?

— Je vous écoute… je suis prêt.

— Ah, c’est ça ! Bon alors : je suis arrivée à l’aéroport de Marseille en me disant que la belle vie allait commencer. Le cousin de Boris m’attendait avec un grand sourire. Il m’a pris mes bagages comme un gentleman et on est allé chez lui. J’ai eu droit à un repas de rêve et je suis tombée de fatigue. En fait ce que je ne savais pas, c’est qu’il avait mis un somnifère puissant dans mon verre et quand je me suis réveillée j’étais nue dans une pièce insalubre ; je n’avais plus rien de ma vie d’avant : plus de papiers, plus d’habits, plus d’effets personnels.

Heureusement le cousin est rentré dans la pièce et je me suis dit que c’était un mauvais rêve, mais son visage avait changé. Il tira d’un coup sec sur le drap me laissant dans le plus simple appareil. J’essayais tant bien que mal de cacher les parties intimes de mon corps, lui de son côté était en train de défaire la ceinture de son pantalon, qu’il baissa aussitôt me dévoilant sa virilité en pleine forme, il s’approcha de moi, me prit violemment par les cheveux et attira ma bouche vers ses parties intimes en m’ordonnant de le… enfin vous voyez ce que je veux dire ?

— Je crois, répond Tom embarrassé.

— Je criais et lui dit qu’il en était hors de question, alors il m’administra une gifle magistrale qui me sonna. Quand je repris mes esprits, il était toujours là assis sur le vieux fauteuil crasseux, sa fierté masculine toujours tendue vers le ciel. Il se releva et sans un mot, m’empoigna à nouveau la chevelure. Je me débattais de toutes mes forces et il m’envoya un violent coup de poing, m’ouvrant l’arcade sourcilière, mais je ne perdis pas connaissance cette fois-ci. Il posa son service trois pièce sur ma bouche fermée, leva sa main et je m’exécutais, sachant que sinon j’allais être passée à tabac.

Au bout de quelques minutes, il me poussa sur le lit et m’écarta les jambes de force. Une dernière fois je défendis ma fierté, avant de prendre cette fois un coup de pied dans le ventre qui me laissa en apnée pendant une dizaine de secondes. Enfin je me résignais, il m’avait brisée comme on le ferait d’un cheval sauvage. Quand il entra en moi j’eus l’impression que mon intérieur se déchirait, j’avais envie de pleurer et d’hurler, mais je me retins, me mordant jusqu’au sang, de peur d’avoir encore à subir les foudres de… Manolo. 

Une fois soulagé, il me jeta des affaires ultras flashys qui laissaient voir pas mal de mon anatomie et il me dit : « À partir d’aujourd’hui ta vie est entre mes mains, Boris ne viendra pas te chercher, tu n’as plus de papiers, je les ai brulés et tu feras ce que je te demande si tu ne veux pas que je recommence comme maintenant. Tu commences ce soir », et il sortit. Le soir même je faisais le tapin sur une petite route de Provence… j’avais à peine dix-sept ans.

Tom stoppe la voiture, ouvre la porte, fait quelques pas, s’arrête, et, comme le ferait un marathonien à la limite de la nausée après un effort immense,  inspire et expire profondément plusieurs fois. C’est une chose d’entendre raconter ce genre de mésaventure à la télé ; c’en est une autre de l’entendre raconter de la bouche de la victime.

— Voilà pourquoi j’ai hésité l’autre jour, lui glisse doucement à l’oreille Tatiana, qui est venue le rejoindre.

— Mais comment fais-tu à présent ?

— Tu sais, au bout de huit ans tu finis par être blindée ; et ce métier me permet parfois de faire de belles rencontres… comme toi, parce que je pense qu’à présent on peut se tutoyer, avec ce que l’on sait l’un sur l’autre !

— Oui tu as raison. Mais est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ?

— Tu m’as promis !

— Oui, pardon, mais c’est tellement dur à entendre. Même si l’on ne se connaît que depuis quelques jours, je me dis que je ne peux pas te laisser dans cette situation ; c’est plus fort que moi.

— Non, tu ne feras rien. Déjà parce que mon Manolo est un fou et que tu ne ferais pas le poids, et deuxièmement je prendrais la dérouillée de ma vie, et crois-moi je m’en passerais volontiers. Alors si tu veux faire quelque chose, respecte ta promesse et viens me voir de temps en temps, car cette heure passée avec toi m’arrache à cette vie sordide.

Tom ne sait quoi répondre. « Un oui serait tellement faux-cul, tellement : ok tu as froid, moi j’ai chaud, mais reste dehors dans la neige quitte à en mourir, moi j’ai rien à me reprocher, et un non tellement : je fous le bordel, tout risque de partir en sucette et je m’en mordrais les doigts. » Alors il se contente d’un sourire et la raccompagne à l’auto en lui tenant la porte comme le ferait un gentleman à une Lady. Tatiana n’en espérait pas tant. Elle s’installe et l’auto redémarre.

*

Après quelques minutes de silence, Tom reprit le cours de son récit avec les passages les plus cocasses de sa vie, afin de remettre un peu de soleil dans l’habitacle chargé émotionnellement. Puis vint le moment de la séparation sur le parking de la nationale, mais cette fois elle se retourna :

«  Tu reviendras la semaine prochaine ? »

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