ROAD Book… Chapitre 2

Chapitre 2 du roman ROAD Book

Road Book de l'auteur Gilles Deschamps

 

C H A P I T R E      2

 

Dès qu’il porte ses yeux sur l’écran, Tom se retrouve immédiatement projeté dans le passé ; très exactement il y a deux ans et demi, au moment des fêtes de Noël.

*

Tom était en train de préparer ses cadeaux de Noël en arpentant le centre-ville de Toulouse. Il était assez content de ses achats, mais commençait à manquer de liquidités. Il se dirigea donc vers le distributeur le plus proche, se mit dans la queue de cette machine particulièrement prisée en cette période de fin d’année et attendit sagement son tour.

La rue Alsace Lorraine était magnifique à cette heure de la journée. La nuit commençait à tomber et des milliers de petites ampoules colorées venaient de faire leur apparition. La légère brume qui flottait palliait au manque de neige qui accompagnait normalement Noël, et tout aurait été idyllique si le bonhomme devant lui n’avait pas eu quelque chose de dérangeant. Tom ne savait pas exactement quoi, mais ce type n’était pas clair et ce qu’il redoutait arriva : quand la personne de devant retira l’argent du distributeur, l’intrus la projeta sur la droite, attrapa la liasse et fit volte-face.

Heureusement Tom, qui avait les yeux rivés sur lui, eut le réflexe de tendre la jambe et le voleur, car c’en était bien un, s’étala de tout son long sur la chaussée. Quand il releva la tête, la foule toute entière le dévisageait, il jeta son butin et partit en courant. Tom ramassa chaque billet et se retourna pour les rendre à son propriétaire. Mais quelle ne fut pas sa surprise en découvrant que cette personne n’était autre que sa belle inconnue au 4×4.

*

– Oh ! Mille mercis ! Vous venez de me sauver la vie !

– N’exagérez pas ! J’ai juste tendu ma jambe, rien d’héroïque.

– Vous plaisantez, je venais de retirer trois cents euros, soit la moitié de mon compte en banque et sans vous j’aurais vraiment été dans la panade. Vous avez cinq minutes ?

– Oui, pourquoi ? balbutie-il.

– Et bien, la moindre des choses serait de vous offrir un café pour vous remercier. Même si je n’ai pas beaucoup de temps ; juste un petit quart d’heure devant moi.

– Volontiers.

Une fois assis bien au chaud, ils enlèvent leurs bonnets et leurs manteaux et Tom comprend pourquoi il a flashé sur cette blonde en robe couleur chocolat deux mois auparavant. Elle est radieuse et son sourire est à la hauteur de sa beauté. Il se demande d’ailleurs ce qu’il fait là, à côté d’une fille aussi sublime. C’est elle qui rompt le silence la première.

– Au fait, je manque à tous mes devoirs, je m’appelle Angélica, lui dit-elle en lui tendant la main.

– Moi c’est Tom.

– Et que fais-tu Tom, si ce n’est pas indiscret ?

– Étudiant en Photo première année.

– Génial. Et tu veux faire quoi plus tard ?

– Disons que j’aime faire des portraits, mais je sais que je ne pourrai pas en vivre. Du coup je me dirige vers la pub et le studio, mais si je pouvais réaliser un rêve, je ferais des pochettes de disques. J’aime cette liberté que l’on a : donner une couleur à un album et à un artiste, juste à travers ce petit carré. Quand tu commences à avoir une renommée on doit te laisser carte blanche et tu dois pouvoir réaliser des trucs de dingue.

– Et bien, ce doit être la providence qui t’a mis sur ma route, car je chante. Je viens de faire une démo et j’aurais bien aimé faire une jolie photo pour la pochette, alors si tu ne me demandes pas trop cher, on pourrait la faire ensemble.

Tom n’en revient pas : juste parce qu’il a tendu sa jambe, elle vient de lui donner son numéro de téléphone et lui sourit ; la vie est belle. Mais comme il n’a pas répondu, Angélica reprend la parole :

– Enfin, si tu ne peux pas je comprendrai !

– Oh pardon, j’étais juste en train de me dire que jamais je n’ai eu autant de plaisir à aller chercher de l’argent à un distributeur ! Bien sûr que je te ferai la photo, et ça ne te coûtera rien. Tu viens de me payer ce soir avec ce café.

Angélica rougit légèrement « décidément, ce garçon est un gentleman, mais bon il faut que j’y aille à présent… même si j’aurais préféré rester là encore un peu », se dit-elle avec regret.

– Ce fut un plaisir Tom et rappelle-moi après les fêtes.

Tom ouvre de grands yeux avant qu’elle ne reprenne.

– Pour les photos.

– Ah ! Oui ! C’est vrai !

*

Il la raccompagna jusqu’à la porte du café et retourna chercher ses affaires. Mais une fois habillé il commença à paniquer : le numéro ! Où était-il ? Tom en panique se mit à fouiller toutes ses poches une à une, regarda sous la table, demanda au barman… mais rien, plus de petit papier. Il se précipita dehors. « Avec un peu de chance elle est encore dans le coin », mais il eut beau courir dans toutes les rues du cœur de ville, il ne la recroisa pas… jusqu’à cette fameuse demi-finale.

*

Angélica était là ; virtuellement sur un écran géant. Toujours aussi radieuse. Tom resta en admiration devant cette fille qui l’avait fait fantasmer pendant trois ans. Elle n’était jamais sortie de sa tête. Même s’il avait eu des aventures, secrètement il espérait tomber sur elle par hasard afin de s’excuser et lui expliquer tous ces fâcheux concours de circonstances qui l’avaient privé de la revoir.

Comme sa première chanson était prévue juste après la coupure pub, Tom s’installa à même le sol comme tout le monde et attendit le début. Quand elle apparut dans une robe fourreau argentée et qu’elle entonna les premières paroles deLa Solitudine de l’italienne Laura Pausini, son cœur fondit littéralement. Sa voix était celle d’un ange et l’apparence, celle d’une déesse. Tom aurait voulu passer la soirée là ; assis sur cette place du Capitole synonyme de tant d’émotions en cette soirée de juin. Son Grand Prix Photo c’était de l’histoire ancienne, à présent il avait l’opportunité de passer deux heures avec Angélica alors il allait en profiter, quand il sentit quelqu’un lui taper sur l’épaule.

*

– Mais qu’est-ce que tu fous Tom ? Tout le monde t’attends, lui demande Charlie qui est revenu chercher son pote.

– Regarde, elle est là.

– Mais qui ?

– Angélica, la fille du 4×4 et du distributeur.

– Bon, je suis ravi pour toi, mais il y a une salle pleine, avec notamment des gens venus de Paris pour toi, qui t’attendent à deux cents mètres de là, alors bouge-toi. Et si ça peut te consoler le resto retransmet aussi l’émission, puisqu’à priori c’est un événement ici.

*

Charlie n’avait pas menti, il y avait bien un grand écran plat branché sur la demi-finale du radio crochet. Comme Tom était dans une journée de veine, on lui avait réservé une place pile dans l’axe de la télé. De la sorte il pouvait à sa guise suivre l’avancée des tours de chant, et chaque fois qu’Angélica apparaissait il prétextait quelque chose, se levait, se cachait discrètement dans un petit renfoncement du restaurant et écoutait la douce voix de cette sublime créature.

Quand vint le moment des délibérations, Tom était aussi tendu que dans la salle des Illustres quelques heures auparavant. Il ne voulait pas la voir partir, espérant secrètement pouvoir encore passer une soirée avec elle la semaine suivante ; et cette fois dans de meilleures conditions. C’était un jour faste : Angélica fût sélectionnée pour la finale, il y eut un direct des coulisses pendant une heure, ce qui permit à Tom de profiter un peu plus de sa nouvelle chanteuse préférée et quand le restaurateur finit par éteindre le téléviseur, Tom put enfin se consacrer entièrement à ses amis et fêter dignement son Grand Prix jusque tard dans la nuit. 

         Quand il émergea sur le coup de midi, Tom était dans un état de béatitude extrême ; il avait la mine radieuse de ceux qui savent que leur vie est en train de basculer du bon côté. Non seulement il y avait, posé en face de lui, le fameux diplôme du Premier prix de l’école, mais de surcroit, dès qu’il fermait les yeux, il avait le visage d’Angélica qui le mettait dans une forme olympique ; la vie lui tendait les bras et, comme un nageur devant un bassin de cinquante mètres, il allait y plonger avec délice.

*

Charlie passa le week-end en famille et lui à flâner dans les rues du centre-ville, affichant toujours ce sourire béat qui s’était accroché à son visage la veille et semblait ne plus vouloir s’en détacher.

         Dimanche soir, sur le coup des 18h, c’est avec plaisir qu’il retrouva son colocataire de retour dans leur petit appart d’étudiant.

*

– Alors, toujours sur ton nuage ?

– Je lévite depuis hier matin. Honnêtement, je ne pense pas avoir connu un moment pareil de toute ma vie ; c’est inexplicable. J’ai l’impression que tout est possible, rien ne m’effraie… Je vais conquérir Paris.

– Wouah ! Je vois que tu es gonflé à bloc. Tiens, j’ai un petit cadeau pour toi, lui dit Charlie en lui tendant un petit carton entouré d’un ruban.

– Monsieur est trop bon, il ne fallait pas !

Tom enlève méticuleusement le petit cordon doré autour du paquet et l’ouvre délicatement. Mais après avoir vu le contenu, il ouvre de grands yeux en se tournant vers son ami qui est hilare :

– Mais qu’est-ce que c’est ?

– Tu as une veine de cocu, mon cochon !

– Et pourquoi ?

– Ma sœur est une inconditionnelle de l’émission Première Tournée.Normal, elle a douze ans et s’identifie à toutes ces filles qui poussent la chansonnette. Mais là où ça devient intéressant pour toi, c’est qu’elle a poussé le vice jusqu’à enregistrer toutes les émissions depuis le début, soit quinze fois deux heures. Donc, si tu ne savais pas quoi faire cette semaine : voilà.

– Mais pourquoi tu veux que je regarde ces cassettes ? 

– Oh ! Toi, tu as le cerveau ramolli en cette fin de week-end. Tu crois que je suis complètement stupide ou aveugle ; je t’ai vu vendredi soir t’éclipser à chaque fois que cette Angélica apparaissait à l’écran. Du coup tu vas pouvoir te délecter de ses apparitions. Mais comme le carrosse de Cendrillon, il y a une date limite ; ma sœur m’a fait jurer de lui ramener les bandes intactes dans une semaine, sinon elle me saccage ma chambre.

– Ok, je croyais que personne n’avait remarqué mon manège l’autre soir.

– Rassure-toi, c’est juste qu’au bout de trois ans de vie commune, on commence à connaître l’autre mieux que soi.

– Et question pratique, sans vouloir être rabat-joie : comment je fais pour les visionner, toi le roi de l’audio-visuel ?

–  Aucun problème, demain j’te ramène un magnétoscope et une vieille télé de l’école, c’est la fin de l’année et elles ne servent plus. Ainsi tu pourras t’en donner à cœur joie mon cher Tom.

– En fait il y a trois ans j’ai eu du bol en mettant mon annonce pour trouver un coloc ! J’aurais pu tomber sur un psychopathe et au lieu de ça je t’ai rencontré… merci mon pote.

*

Le lundi Tom fit une apparition à l’école afin de partager ses impressions avec ses profs qui étaient tous devenus des amis au fil des années, et l’après-midi il installa la télé face à son lit et commença le visionnage des cassettes. Les premières apparitions d’Angélica étaient sporadiques, mais c’était exactement la fille du distributeur qu’il avait devant les yeux. Le relooking de la production, bien que parfait, n’avait pas encore agi et la jeune fille frêle et innocente avec laquelle il avait bu un café était encore là, débordante de simplicité. Quand elle quittait l’écran, Tom faisait une avance rapide jusqu’à sa prochaine apparition. Chaque chanson qu’elle interprétait ne faisait que renforcer l’attrait qu’il avait pour cette petite blonde au sourire d’ange.

Au bout de quatre jours il était fin prêt pour la finale, il avait vu et revu chaque interprétation d’Angélica et s’était aussi un peu intéressé à l’autre finaliste : Luc, qui avait une sacrée dose de génie. Il pouvait interpréter ce qu’il voulait ; tout lui allait, c’était un vrai caméléon. La finale allait se résumer à un combat entre une divinité face à un enchanteur ; rien n’était joué. Tout naturellement il retourna là où tout avait ressuscité : la place du Capitole.     

Quand elle fit sa première apparition de la soirée, Tom en eut le souffle coupé, ce n’était plus une adolescente en quête de reconnaissance, mais bel et bien une femme éblouissante de charisme et dégageant une sensualité hors pair qui se présenta sur la scène. Les finalistes tirèrent au sort afin de savoir qui allait démarrer le programme et c’est Angélica qui obtint ce privilège, même si à vrai dire, la pression étant telle à cet instant, elle aurait volontiers attendu quelques minutes supplémentaires.

Mais dès que les premières notes de La Mémoire d’Abrahamretentirent dans le théâtre : tout s’envola et elle donna tout ce que la nature avait bien, abondamment, voulu lui accorder. L’interprétation de la partition de Jean-Jacques Goldman était parfaite… sa prestation était tout bonnement magistrale. À la fin du morceau qu’elle termina au bord des larmes, une fois la pression relâchée, toute la salle se leva comme un seul homme et les cinquante personnalités du jury, dont Johny Halliday et consœurs, lui firent une standing ovation.

À cet instant, Tom se dit que l’affaire était bien engagée, que Luc ne pourrait pas faire mieux, que ce serait elle qui aurait LaTournée, qu’avec un peu de chance sa carrière décollerait, qu’elle graviterait ainsi dans le milieu du showbiz, que d’ici deux ou trois ans lui aussi évoluerait dans le même milieu et que forcément leurs destins finiraient bien par se croiser un jour ou l’autre.

Mais voilà, tout ne finit pas toujours comme dans un conte de fée. Après trois morceaux d’exception, Angélica prit un risque. Au lieu d’opter pour la sécurité avec un morceau de Franck Sinatra qui lui aurait donné les faveur du jury mais sans réellement faire la différence, elle choisit de prendre tous les risques en tentant le jackpot avec Back in Black d’AC/DC. Aux premiers riffs de guitare électrique la salle hurla ; la partie était gagnée. Le problème, c’est que tout le monde a ses limites et elle n’était pas magicienne. Dans son registre elle excellait, mais dans celui du hard rock, elle n’avait pas assez de watts, comme on dit dans le jargon, et ce qui aurait dû être un triomphe se transforma en longue descente aux enfers. À la fin du morceau le public eut beau applaudir, comme pour lui dire : « on t’aime malgré ce faux pas », elle savait qu’elle avait échoué et tous les espoirs d’une vie extraordinaire lui tendant les bras il y a de cela encore cinq minutes, étaient en train de s’évaporer comme les fumigènes quand le vent se lève.

Il fallut somme toute aller jusqu’au bout du programme, même si la cause était entendue et seul quelques irréductibles fans, dont Tom faisait à présent partie, y croyaient encore. Pourtant c’est sans grande surprise qu’Angélica entendit le verdict : Luc remportait la victoire et aurait le droit de se lancer dans le grand bain…et pas elle.

Sur la place du Capitole Tom était abasourdi, un peu comme le supporter d’une équipe de foot qui vient de voir perdre son équipe, alors qu’elle menait encore trois à un à un quart d’heure de la consécration. Au bout de cinq minutes, après avoir interviewé le gagnant, la chaine lança le générique sous forme d’une image fixe d’Angélica et Luc.

À cet instant Tom se dit qu’il fallait qu’il en profite, car c’était peut-être la dernière image d’elle qu’il aurait…

… avant très longtemps.

 

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